Parents épuisés - Interview Magali

J'ai interviewé des mamans qui ont vécu une période d'épuisement parental. Je leur ai demandé de me parler sans tabou de toutes les conséquences sur leur vie de femme, d'épouse, de maman. 

Le burn-out parental peut mener à des violences verbales mais aussi physiques, de la distance au sein du couple, des conflits avec la famille proche. Ce sont des sujets délicats dont peu de femmes osent parler car elles ont honte. C'est pourquoi, les prénoms ont été modifiés pour conserver leur anonymat.

Je les remercie du fond du coeur de m'avoir fait confiance.

Magali nous raconte son histoire 

Maman d'une petite fille de 6 ans, mariée et sans emploi après la naissance de sa fille, elle a repris le travail après s'être rendue compte qu'elle s'était perdue et épuisée dans son rôle de mère.

En voulant se conformer au modèle de la mère parfaite induit par sa propre mère, Magali s'est épuisée. D'un naturel calme et enjoué, elle ne s'est plus reconnue lorsqu'elle s'est mise en colère contre sa fille. C'est un symptôme typique du burn-out parental. 

A la différence de la dépression, le burn-out est un syndrome de stress chronique qui est contextualisé (parentalité, travail) et non généralisé comme chez les personnes dépressives. Ce qui est parfois d'autant plus difficile à comprendre pour l'entourage. Seul un professionnel peut réaliser ce diagnostic.

L'image que l'on a de nos parents a une grande influence sur nos comportements en tant que parent : nous tentons soit de leur ressembler car nous les admirons ou à l'inverse, d'être leur parfait opposé. Dans les deux cas, cela nous met une sacrée pression !

Magali, raconte-moi, as-tu vécu une période d'épuisement parental et en es-tu sortie ?

Oui, j'ai vécu une période d'épuisement.

As-tu eu une enfance heureuse ? Quelle image as-tu de ta mère et tentes-tu de lui ressembler ou d'être son opposé ?

Ma mère était toujours présente et considérait que la place d'une mère est auprès de ses enfants, pas au travail. Pour elle, une femme qui travaille, pense à sa carrière, prend soin d'elle, de ses amitiés, de son couple ou se fait plaisir ne pouvait pas être une bonne mère. Elle était toujours là pour moi mais parfois de manière défaillante (alcool, dépression, ...). J'ai voulu m'occuper à 200% de mon enfant, je considérais que c'était normal et je me mettais une pression énorme. J'ai subi beaucoup de violences physiques durant mon enfance et je m'étais promise de ne jamais reproduire cette partie de mon éducation.

Pour toi, c'est quoi être un "bon parent" ? 

Être un parent heureux et épanoui qui a l'envie de passer du temps de qualité avec ses enfants. Ce qui n'est pas toujours le cas, soyons honnêtes (rires).  

Comment s'est manifesté ton épuisement, quels changements as-tu observé ?

Même lorsque ma fille dormait, je me réveillais quand même la nuit ou tôt le matin, j'avais de gros problèmes de sommeil. J'en profitais pour faire le ménage, ranger, ... Je voulais que tout soit impeccable. Je n'avais plus envie d'être avec ma fille, ses pleurs incessants m'épuisaient, ses bêtises, ses protestations à chaque change et chaque moment de la journée, j'avais envie de la rejeter. J'étais là sans être là, le regard dans le vide à attendre impatiemment l'heure de la sieste, s'il y en avait une ! Plus tard, quand elle a commencé à savoir bouger seule (ramper et puis marcher), je me mettais à hurler car j'avais la sensation de devoir intervenir non-stop ("Ne touche pas à ça !", "Viens tu vas tomber",...), on aurait dit une vraie folle... C'est ce que j'avais l'impression de devenir. Je ne me reconnaissais plus. Je me sentais terriblement coupable d'être comme cela, de ressentir tout cela. Une fois la mise au lit passée, je n'avais plus la force de faire quoique ce soit.

Comment ont réagi tes enfants ?

Je pense que ma fille a voulu attirer mon attention et sentait mon mal-être. Elle s'est mise à faire encore plus de crises de pleurs, de "caprices", de nuits agitées, ...

As-tu été suivie ou as-tu demandé de l'aide (médecin, thérapeute, ...) ? Et pourquoi ?

Le pédiatre m'a parlé d'un thérapeute qui pourrait m'aider, elle m'a donné son numéro et son nom. J'ai pris rendez-vous dès que je suis sortie de son cabinet. Les consultations se faisaient avec ma fille mais finalement, on se concentrait surtout sur moi, mes ressentis et ce qu'on pouvait faire pour que j'aille mieux. Je pense que c'était le plus important. Si j'allais mieux, tout allait s'apaiser avec ma fille. Ce thérapeute m'a permis d'être plus sereine car il a vu que j'avais beaucoup lu et appliqué de principes d'éducation positive, il m'a félicitée pour tout ce que je faisais, cette reconnaissance m'a fait un bien fou.

Penses-tu que d'autres facteurs ont influencé cet épuisement (boulot, famille, vie sociale, pression sociale, charge mentale, réseaux sociaux, ...) ? 

Je n'ai jamais senti de soutien de la part de ma famille et belle-famille. J'étais pointée du doigt car mon enfant pleurait trop, je la prenais trop dans mes bras, je m'en occupais trop, ... J'avais décidé de m'intéresser à l'allaitement à la demande, au maternage proximal, à l'éducation bienveillante, et toutes ces pratiques un peu "à la mode" pour certains mais qui avaient un réel intérêt pour moi. Surtout après l'enfance violente que j'avais vécue, le schéma inverse était une belle revanche. J'avais une image de mamans parfaites sur Instagram qui arrivaient à si bien gérer leur maternité, rester calme et adapter leur attitude à leur bébé à chaque instant. Je me sentais nulle comme mère. Cela devenait parfois le sujet principal de conversation, je n'osais même plus dire que c'était difficile au quotidien. "Tu n'as qu'à la laisser pleurer, sinon ne vient plus te plaindre que tu es fatiguée!", "Il suffit de faire comme ci ou comme ça", ... 

As-tu ressenti une perte de plaisir dans la relation avec tes enfants ? 

Oui, je voulais m'en occuper au mieux, je ne voulais rien déléguer ni la faire garder, d'ailleurs elle ne supportait pas la séparation. Mais en même temps, je finissais pas détester et regretter mon rôle de mère. 

As-tu remarqué une distance inconsciente avec tes enfants (être là physiquement, mais sans connexion avec eux) ? 

Oui, je faisais ce qu'il fallait mais sans plus, les repas et jeux étaient des corvées, j'avais toujours hâte que cela finisse.

Quelles ont été les conséquences sur ta vie de couple ? Est-ce qu'il t'a aidée, fait des reproches ? (relais, conflits qui ont débutés/amplifiés, ...) 

Je pense que cela a créé pas mal de tensions, surtout lorsque les familles s'en mêlaient. D'un côté comme de l'autre, on se faisait des reproches sur l'attitude de la famille de l'autre, sur le manque de soutien de l'autre ou l'attitude agressive. Cela nous a pas mal éloignés à l'époque. 

As-tu compensé par des grignotages, beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, une hausse de la consommation d'alcool, jeux vidéos ou sur le téléphone ?

Je passais énormément de temps sur mon téléphone, souvent j'en profitais pour m'informer sur plein de sujets liés à la parentalité. Je n'avais plus l'énergie de faire autre chose pour moi. Je me sentais nulle et j'avais l'impression de ne rien connaître, en plus je n'avais ni amie ni soeur qui était passée par là récemment, personne à qui poser des questions sans jugement.

As-tu vécu des phases très difficiles (envie de fuir, de partir loin sans laisser d'adresse, envie d'en finir, de vous séparer de ton conjoint) ? 

Oui, ma famille me poussait à divorcer. Nous avons entamé une thérapie conjugale où nous nous sommes rendus compte à quel point on s'aimait, on était bien ensemble mais que nos familles semaient le trouble en prenant part à toutes nos décisions et en critiquant tous nos choix, cela nous divisait. Le terme relation toxique a été prononcé à propos de nos familles par le thérapeute, cela nous a fait un électrochoc. 

Quel contraste as-tu constaté entre la maman que tu étais avant et pendant cet épuisement ?

Je prends le temps et je suis pleinement disponible pour mon enfant, j'ai vraiment envie d'être là et de profiter de ces moments mais ils sont plus rares. Je me mets moins de pression de "quantité", je privilégie l'envie de jouer avec elle, même un court moment plutôt que de passer une après-midi à râler sur elle car je suis fatiguée, si c'est le cas : je me repose. C'est toujours compliqué certains jours lorsque tout le monde est fatigués mais je pense que c'est comme cela chez la plupart des gens. 

As-tu eu honte de ton état de fatigue, de tes comportements ? 

Oui, je n'osais pas en parler car le peu de fois que je l'ai fait, j'ai été jugée ou culpabilisée. Je m'impliquais trop dans l'éducation de ma fille, je me mettais trop de pression, je ne la faisais pas garder, bref c'était ma faute.

Comment a réagi ton entourage ? Ont-ils remarqué ton état ? As-tu osé en parler, tout dire ?

Je n'en ai pas parlé à tout le monde, certains ne l'ont jamais su. Mon meilleur soutien a été mon mari, cela a fini par nous rapprocher plus que jamais. 

Quelle aide aurait été précieuse pour aller mieux ? Aurais-tu accepté cette aide facilement et pourquoi ?

Une personne qui serait venue sans juger, sans s'imposer, sans réclamer de contre-partie pour m'épauler. Mais je dois bien avouer que j'aurais eu du mal à accepter de l'aide et accepter que je ne pouvais pas tout faire seule. 

Quelles attitudes, remarques, comportements t'ont blessée voire enfoncée dans ton état ?

Les phrases des proches, amis et familles, sur le fait que "Tu n'as déjà que ça à faire de tes journées, moi je travaillais en plus", comme si c'était de tout repos de s'occuper d'un bébé 7j/7 et 24h/24... Et les critiques sur chacun de mes gestes, des soupirs parfois, ça me heurtait à un point que je pleurais dès leur départ...

La phrase la plus blessante qu'on t'aie dite à propos de ton rôle de maman est...

"Ta fille va devenir handicapée à cause de toi".

As-tu mis des choses en place qui t'ont aidées ? Lesquelles ? 

J'ai vu un psychologue, nous avons fait une thérapie de couple et tout cela m'a sortie petit à petit de mon état. J'ai pris du recul et j'ai changé ma vision des choses. J'ai accepté le fait que j'avais envie de travailler et d'être mère, et que je pouvais faire les 2 à la fois sans être une mauvaise mère. J'ai repris le travail, j'ai fait de la place à de nouvelles amitiés, principalement des mamans qui pouvaient comprendre ce que je vivais. Je me suis éloignée de nos familles toxiques qui ne nous aidaient pas, que du contraire.

Pour toi une maman épuisée doit absolument...

Trouver des personnes autour d'elle pour l'écouter, qui sauront être bienveillantes, qui pourront l'aider si besoin sans la juger ou vouloir la contrôler.

Qu'aimerais-tu dire à une maman dans cet état pour la rassurer ?

" Je sais que tu fais tout pour être la meilleure des mamans, tu peux être fière de toi. Écoute-toi et tant pis pour ce que pensent les autres ! "


Merci à Magali pour son témoignage.


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