Parents épuisés - Interview Sophie

J'ai interviewé des mamans qui ont vécu une période d'épuisement parental. Je leur ai demandé de me parler sans tabou de toutes les conséquences sur leur vie de femme, d'épouse, de maman. 

Le burn-out parental peut mener à des violences verbales mais aussi physiques, de la distance au sein du couple, des conflits avec la famille proche. Ce sont des sujets délicats dont peu de femmes osent parler car elles ont honte.

Les prénoms ont été modifiés pour conserver leur anonymat. Je les remercie du fond du coeur de m'avoir fait confiance.

Sophie nous raconte son histoire 

Maman de 2 petites filles, mariée à un mari qui la soutient mais qui est perdu face à sa détresse. Elle reçoit de l'aide de son papa pour souffler un peu mais sa belle-mère profite de la situation pour semer la zizanie !

Sophie, raconte-moi, as-tu vécu une période d'épuisement parental et en es-tu sortie ?

Oui, je l'ai vécu et à l'heure actuelle je m'en suis sortie.

As-tu eu une enfance heureuse ? Quelle image as-tu de ta mère et tentes-tu de lui ressembler ou d'être son opposé ?

Ma mère est morte lorsque j'avais 3 ans. J'ai dû me créer autour de son absence et encore aujourd'hui lorsqu'on me reconnaît une ressemblance avec elle, cela me fait très plaisir. Mon enfance a été assez particulière et bien qu'elle n'aie pas été malheureuse, j'ai eu le sentiment de devoir grandir très vite pour ne pas être un poids pour mon père, qui pourtant, ne me l'a pas demandé explicitement.

Pour toi, c'est quoi être un "bon parent" ? 

Parvenir à faire de nos enfants des adultes fonctionnels. C'est à dire leur donner un amour inconditionnel tout en leur donnant un cadre rassurant et stable. Il faut aussi ne pas privilégier les bonheurs à court terme si dans le long terme ils sont néfastes, la frustration est nécessaire, ainsi que l'ennui, à leur bon développement. 

Comment s'est manifesté ton épuisement, quels changements as-tu observé ?

Mon épuisement est venu petit à petit, après la naissance de ma deuxième. J'étais constamment épuisée, chaque tâche me demandait une force disproportionnelle à l'ampleur de la tâche. Je suis aussi devenu très irritable, j'élevais plus la voix sur mon aînée et manquais de patience pour tout.

Comment ont réagi tes enfants ?

Mon aînée était encore plus collante que d'ordinaire, sans doute par peur du rejet. Elle pleurait aussi pas mal. J'essayais vraiment de me contenir donc je ne pense pas que cela a eu énormément d'impact sur elle. J'avais très peur que ça ait un effet sur elle sur le long terme.

As-tu été suivie ou as-tu demandé de l'aide (médecin, thérapeute, ...) ? Et pourquoi ?

Je n'ai pas été suivie car même me renseigner pour voir quelqu'un était un effort supplémentaire que je n'aurais pas pu fournir. J'ai déjà fait une très grosse dépression et j'ai pu reconnaître les premiers signes. J'ai donc demandé de l'aide à ma famille pour prendre plus souvent les enfants pour que je puisse souffler.

Penses-tu que d'autres facteurs ont influencé cet épuisement (boulot, famille, vie sociale, pression sociale, charge mentale, réseaux sociaux, ...) ? 

La charge mentale a eu une grosse influence selon moi et la famille du côté de mon mari ne m'a certainement pas aidée... Nous avons une vision très différente de l'éducation et je devais accepter sans broncher les multiples remarques sous-entendues sur ma sévérité et mon inflexibilité envers mes enfants. Mon mari était aussi peu impliqué dans la vie quotidienne de la famille et ma position de mère au foyer ne m'a clairement pas aidée pour l'inciter à s'investir plus.

As-tu ressenti une perte de plaisir dans la relation avec tes enfants ? 

Totalement. Je ne les voyais plus que comme une charge supplémentaire. Ce qui a sonné l'alarme, c'est mon manque de compassion quand mon aînée se mettait à pleurer. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser "Encore..." et les gestes pour la consoler étaient mécaniques, faits dans l'espoir unique qu'elle s'arrête. J'ai bien senti que ce n'était pas normal comme réaction face à sa détresse et ce n'était pas quelque chose que je voulais.

As-tu remarqué une distance inconsciente avec tes enfants (être là physiquement, mais sans connexion avec eux) ? 

Oui. C'était même plus que ça, je ne supportais plus du tout que l'aînée me touche. Elle est très tactile de base et elle venait m'envahir alors que je n'en pouvais déjà plus. Cela me demandait beaucoup d'effort de ne pas la repousser. J'essayais de lui donner ce qui lui fallait puis je lui demandais de s'en aller. On a même été jusqu'à lui expliquer le concept d'espace vital ! Ce qui a plutôt bien marché. Je parle moins de la deuxième car elle était vraiment petite et dormait encore beaucoup. Un bébé prend les câlins mais n'en "donne" pas. Elle me gênait moins et demandait moins d'attention que la première.

Quelles ont été les conséquences sur ta vie de couple ? Est-ce qu'il t'a aidée, fait des reproches ? (relais, conflits qui ont débutés/amplifiés, ...) 

Non, aucun reproche, il était surtout très embêté. Il a été soulagé que je demande de l'aide. Mais le couple a été mis en sérieux danger par la situation. Il a fallu plus d'une crise vraiment énorme de ma part pour qu'il se rende compte qu'il devait prendre plus de responsabilités.

As-tu compensé par des grignotages, beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, une hausse de la consommation d'alcool (même légère), jeux vidéos ou sur le téléphone ?

Pas d'alcool, je n'aime pas cela. En vérité, j'aurais aimé compenser avec des activités à moi mais je n'avais pas le temps ! Par la suite, on a réussi avec mon mari à me dégager du temps rien que pour moi que j'utilisais pour lire et faire des choses créatives (miniatures, couture, jardinage,...).

As-tu vécu des phases très difficiles (envie de fuir, de partir loin sans laisser d'adresse, envie d'en finir, de vous séparer de ton conjoint) ? 

Oui, j'avais envie de me séparer de mon conjoint. Je me suis rendue compte que je fantasmais presque sur mes amies qui sont mamans et sont séparées de leur conjoint, qui ont du coup leurs enfants à mi-temps. Je me disais aussi que cela me ferait un mari en moins comme tâche dans ma vie... Mais je me sentais très mal de penser comme cela.

Quel contraste as-tu constaté entre la maman que tu étais avant et pendant cet épuisement ?

Je n'aurais pas pu négliger mes enfants, je suis quelqu'un de relativement sclérosé sur mes principes. J'ai donc continué tout du long à faire ce que ma conscience m'ordonnait de faire. Mais justement, tout cela n'était qu'obligations à mes yeux et si jamais il y avait le moindre couac, je sentais monter la colère de manière incontrôlable. Alors, j'allais m'isoler dans une autre pièce pour ne pas m'en prendre verbalement à mon aînée. J'avais aussi des pulsions violentes à cause de l'adrénaline mais je ne voulais pas y céder. Je me détestais de ressentir cela car je voyais bien que ma fille était incapable de comprendre ce qui n'allait pas.

As-tu eu honte de ton état de fatigue, de tes comportements ? 

Je pense que ça se ressent bien dans toutes mes réponses jusqu'ici ! Oui, énormément. Je n'avais pas l'impression de devoir en faire plus que d'autres, j'avais honte de ne pas réussir à gérer et de parfois perdre le contrôle. 

Comment a réagi ton entourage ? Ont-ils remarqué ton état ? As-tu osé en parler, tout dire ?

Mon mari le voyait évidemment et je lui en parlais beaucoup. Mon père, je lui parle de tout et il a très bien réagi quand j'ai demandé de prendre plus souvent mes filles chez lui. J'ai aussi demandé à ma belle-mère mais je l'ai énormément regretté par la suite. Elle était déjà peu compréhensive par rapport à mes méthodes d'éducation, elle a profité de ma faiblesse pour taper un bon coup à un moment où j'étais déjà à terre et vulnérable. 

Quelle aide aurait été précieuse pour aller mieux ? Aurais-tu accepté cette aide facilement et pourquoi ?

Je n'ai aucun problème à demander de l'aide si j'en ai besoin et n'importe qu'elle aide est à prendre. Même si ce n'est pas assez, c'est déjà cela en moins

Quelles attitudes, remarques, comportements t'ont blessée voire enfoncée dans ton état ?

Les gens ont été bienveillants avec moi, à part ma belle-mère qui manifestement alimentait des rancunes envers moi depuis des années et a profité de l'occasion pour frapper...

La phrase la plus blessante qu'on t'aie dite à propos de ton rôle de maman est...

"Elle est un danger pour ses enfants, c'est ton devoir de les protéger." de ma belle-mère à mon mari, alors que je n'étais pas là. Elle a dit énormément de chose cette fois-là, mais je retiens surtout celle-là ainsi qu'elle a dit que ma fille ne m'aimait pas. J'ai beau avoir eu conscience à l'époque que c'était des bêtises, cela m'a quand même fait très mal.

As-tu mis des choses en place qui t'ont aidées ? Lesquelles ? 

J'ai déposé plus souvent les enfants chez les parents mais c'est tombé à l'eau à un moment à cause du confinement... J'ai décidé de m'octroyer des moments de solitude, même s'ils étaient courts. J'ai appris à être indulgente et patiente envers moi-même aussi. 

Pour toi une maman épuisée doit absolument...

Retrouver des moments où elle sort de son statut de mère ! Même si ce sont des moments brefs. Au bout d'un moment, on se perd dans ce rôle où on nous encourage à tout donner.

Qu'aimerais-tu dire à une maman dans cet état pour la rassurer ?

Qu'on fait de toute façon toujours de notre mieux. Parfois ce n'est peut-être pas assez mais c'est de toute façon notre maximum. Et c'est déjà très bien !


On retrouve dans son parcours un fait important : demander de l'aide à un professionnel était une tâche de trop. Souvent, les parents dépassés ne prennent pas le temps de se faire accompagner ou même de se renseigner. Le quotidien est déjà si difficile à vivre et surchargé. 

A la différence de la dépression, le burn-out est un syndrome de stress chronique qui est contextualisé (parentalité, travail) et non généralisé comme chez les personnes dépressives. Ce qui est parfois d'autant plus difficile à comprendre pour l'entourage. 

Les images idéalisées véhiculées sur la parentalité ne nous permettent pas d'imaginer la détresse terrible dans laquelle on peut plonger, au point ici par exemple de ne plus supporter le contact physique avec son enfant. 

Pour savoir si vous êtes en burn-out parental, un diagnostic doit être posé. Un parent épuisé et qui hurle sur ses enfants n'est pas forcément en burn-out parental. Seul un professionnel peut réaliser ce diagnostic


Vous souhaitez témoigner anonymement pour aider d'autres parents à passer le cap et demander de l'aide ? C'est ici !